Le projet de mine de graphite Miller de l’entreprise canadienne Canada Carbon est situé à 80 km à l'ouest de Montréal dans le canton de Grenville. La mine Miller est un gisement historique de graphite et de mica qui fût exploité entre 1845 et 1900. À partir de 2012 de nouvelles études sont faites par un géologue et l’entreprise Canada Carbon acquiert 71 titres miniers (claims), situés de part et d’autre de la rivière rouge, pour une superficie totale de 4152 hectares,, soit près du tiers de la municipalité de Grenville-sur-la-Rouge. La phase 1 de ce nouveau projet envisage l’extraction de marbre et de graphite à partir de trois fosses à ciel ouvert et la construction d’une usine de flottation sur site pour une superficie totale occupée de 62 ha. La construction d’une usine de traitement thermique qui sera située à Asbury, à 150 km au nord-ouest du site de Miller, est aussi prévue. La production annuelle est estimée à 1 515 tonnes de graphite en veine (grade nucléaire de très grande pureté) et 150 milles tonnes de marbre [1] [2] [3]. Le graphite est un minéral considéré comme critique et stratégique dans le contexte actuel de transition énergétique en raison de son utilisation dans la fabrication des batteries Li-Ion qui alimentent les véhicules électriques. Cependant, le gisement du site de Miller étant de graphite filonien hydrothermal de grande pureté, le projet ne vise pas réellement la production de batterie, mais celui des petits réacteurs modulaires (PRM) pouvant produire de l’électricité sans la production de gaz à effet de serre (GES) pour les régions éloignées ; ce type de production électrique remplacerait les centrales au diésel couramment utilisées actuellement. Le problème, c’est que ce développement est hautement hypothétique, hautement spéculatif pour la valorisation de ce type de graphite et surtout encore au stade de la recherche. La compagnie présente, avec son projet remanié, un plan d’aménagement et de restauration de l’érablière qu’elle a partiellement détruite et en retournant les résidus dans la fosse une fois l’exploitation du graphite complétée, un procédé jamais encore réalisé dans la province. Quant à l’électrification de la machinerie nécessaire au projet, elle nécessitera certainement une connexion électrique plus puissante que celle actuellement disponible près du futur site sans compter le développement de ladite électrification. Autre aspect négligé, mais non négligeable est le besoin en eau du projet et surtout les quantités de rejet qui seront accumulées dans un bassin de rétention si près du milieu humide au sud du projet. Le bassin hydrologie pourra-t-il supporter une telle ponction sans conséquence sur les rivières qui traversent ou près du futur site ? En décembre 2016, Canada Carbon présente un projet mirobolant au conseil municipal de Grenville-sur-la-Rouge (GSLR). Emballé par cette présentation, le conseil élabore, sans aucune forme de consultation, un avis de conformité favorable au projet auprès de la Commission de protection du territoire agricole du Québec (CPTAQ), afin de soustraire des terres agricoles pour la construction de la mine, qui sera adoptée à la séance du conseil municipal du 13 décembre 2016 [4]. En réponse à cette décision rapide et sans consultation, en février 2017, une centaine de résident(e)s du territoire de Grenville-sur-la-Rouge préoccupés par les possibles impacts socio-environnementaux du projet minier, forme le comité citoyen SOS GSLR. Le comité cherche alors à obtenir de plus amples informations sur ce projet minier et sur l’impact de l’activité minière en général. Il se crée alors de solides alliances avec les regroupements « Coalition pour que le Québec ait meilleure mine (QMM) », « Mining Watch Canada (MWC) », « Indigenous Environmental Network (IEN) » ou « Western Mining Action Network (WMAN) ». Les principaux enjeux et impacts liés au projet minier dénoncé par le comité SOS GSLR et ses alliés sont : – Nuisances sonores liées à la mine et à une circulation accrue de camions lourds dans un chemin de campagne inapproprié et sinueux (plus de 50 passages de camion sont prévus quotidiennement) [4] [5]. – Risques de contamination des rivières et des eaux souterraines par les eaux de surface et par le bassin des lexivas issus du nettoyage du graphite. Impact du pompage important de l’eau dans un aquifère de quantité inconnue qui pourrait provoquer un épuisement des puits d’eau potable [4] [5]. – Exposition à la poussière de graphite en suspension dans l’air qui peut causer la pneumoconiose du graphite, une maladie respiratoire grave et incurable s’apparentant à l’amiantose [5]. – Déforestation sur une surface d’environ 1 km carré. Une coupe illégale d’érable à déjà eu lieu sur le site [5] [6]. – Perte importante de la valeur des propriétés impliquant aussi une diminution de taxes foncières pour la municipalité. Bouleversement d’une zone de villégiature habitée depuis des générations autour du lac McGillivray. Détérioration aggravée du territoire déjà marqué par des carrières, une cimenterie, une ligne à haute tension d’Hydro-Québec, avec peu de retombées économiques pour G.S.L.R., car les profits iraient d’abord aux actionnaires — souvent étrangers — et les problèmes, eux, iraient à la population locale pour très longtemps [5]. – Absence d’acceptabilité sociale du projet, manque d’informations détaillées et préventives sur ces possibles impacts. Le promoteur n’a pas conclu des ententes avec tous les propriétaires de terrains limitrophe qui seront utilisés par le projet. Le site proposé prévoit des activités sur des terrains dont les propriétaires sont contre le projet [4] [6] – Un possible agrandissement progressif du site minier actuellement proposé. La compagnie utilisera une approche de disponibilité de la ressource (rolling resource approach) pour gérer le dépôt de graphite. Elle continuera à explorer à l’intérieur de ses claims pendant les phases de délimitation et de production de la ressource et en fonction des quantités rencontrées elle pourrait soumettre une demande d’agrandissement du projet afin d’ouvrir d’autres fosses au sein du territoire. C’est une façon de procéder qui permet de faire une demande pour un projet plus petit et de pouvoir ainsi commencer plus rapidement l’exploitation. Une demande faite pour un projet plus gros demanderait initialement plus de temps, pourrait obliger à une évaluation par le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) et amènerait davantage de questionnement. Dans la même logique d’éviter une étude du BAPE, le projet prétend produire quotidiennement 499 tonnes afin d’être juste en dessous du seuil de production qui nécessite une étude du BAPE (500 tonnes) [6] [7]. Heureusement, la nouvelle entente intervenue en février 2020 inclus une présentation pour le BAPE advenant l’autorisation d’exploitation à la suite d’une nouvelle demande que devrait formuler d’ici la fin septembre 2023. Grâce au travail du comité SOS GSLR de nombreux candidats ayant fait campagne contre le projet de Canada Carbon sont élus conseillers lors des élections municipales d 5 novembre 2017 [8]. En février 2018, le nouveau conseil municipal annule l’avis favorable émis par l’ancien conseil municipal à la Commission de la protection du territoire agricole (CPTAQ) pour l’utilisation des terres agricoles. De plus, en se basant sur une modification apportée à la Loi sur les mines, qui accordent aux municipalités régionales de comté (MRC) « le pouvoir de délimiter, dans leur schéma d’aménagement et de développement, des territoires incompatibles avec l’activité minière », la municipalité modifie son règlement de zonage pour interdire les activités d’extraction minière [9] [10]. Le mois suivant, en mars 2018, l’entreprise Canada Carbon réplique en déposant une poursuite de 96 millions de dollars canadiens contre la municipalité de GSLR. Cette offensive préparée par la firme Beauregard Avocats représente l’une des plus grosses poursuites visant une municipalité dans l’histoire du Québec. Elle équivaut à 17 fois le budget de Grenville-sur-la-Rouge ou à plus de 32 000 $ par citoyen [9]. Cette demande en dommage fût dénoncée comme abusive par la municipalité, SOS GSLR et d’autres organisations. Elle est perçue comme une forme d’intimidation des membres du conseil municipal et une manière de limiter leur liberté d’expression [11]. Dans la même logique d’intimidation, une plainte est déposée par l’entreprise contre une des membres de SOS GSLR. Cette demande de 96 millions montre aussi le vrai visage de Canada Carbon, qui se présente officiellement comme « une petite société minière proposant un tout petit projet minier ayant l’impact environnemental le plus bénin possible », mais qui n’hésite pas à pouvoir mettre en faillite la collectivité dont elle cherchait hier encore à conquérir « l’acceptabilité sociale » [12]. Cela montre aussi son peu de respect pour les prises de décisions citoyennes comme le souligna Ugo Lapointe de Mining Watch Canada : « Cette compagnie échoue le test de l’acceptabilité sociale et jette de l’huile sur le feu. Le nouveau conseil municipal a été élu avec une forte majorité. Si en 2018, les municipalités ne peuvent plus décider quel développement est le mieux pour leur population, on a un problème » [9]. De plus, un rapport publié sur la viabilité technique et économique du projet Miller de la compagnie minière Canada Carbon démontre que le projet « ne vaut pas 96 millions comme le prétend actuellement la compagnie. De tels dommages ne peuvent être réclamés alors que le projet demeure hautement spéculatif et que la viabilité économique du projet n’a pas été démontrée » [13]. Pendant que la bataille juridique se poursuit, une autre stratégie est aussi utilisée par les habitants de Grenville et les membres de SOS GLSR. Utilisant l’article 235 de la nouvelle mouture de la Loi sur les mines du Québec exige « l’autorisation écrite » des propriétaires avant qu’une entreprise puisse accéder à leur terrain et y faire des travaux d’exploration minière », ils invitent les propriétaires des terres sur lesquels Canada Carbon à des claims à envoyer une lettre à la compagnie signalant leur refus pour l’accès à leur propriété [14]. Environ 80 propriétaires enverront des lettres interdisant l’accès à plus de 100 lots et terrains de Grenville-sur-la-Rouge ; « Ces propriétés couvrent plus de 600 hectares et représentent plus de 80 % des propriétaires les plus directement touchés par le projet Miller de Canada Carbon. C’est encore une fois un message fort qu’il n’y a pas d’acceptabilité sociale face à ce projet », affirme Normand Éthier, co-porte-parole du regroupement SOS GSLR [15]. En février 2020 l’entreprise abandonne les poursuites contre la municipalité suite à une entente hors cour. L’entente entre les deux parties stipule que Canada Carbon devra soumettre son projet au Bureau des audiences publiques sur l’environnement du Québec (BAPE), tenir des consultations publiques sur tous les aspects du projet, limiter nos activités de dynamitage et de concassage, respecter les limites de bruit et de poussière établies par règlement et partager les coûts de la modification des routes municipales de GSLR [16] [17]. En juillet 2021, la Commission de Protection du territoire Agricole du Québec (CPTAQ), après avoir entendu les réticences de plusieurs experts, de citoyens, de l’Union des producteurs agricoles (UPA), de la MRC d’Argenteuil et de la municipalité, se ravise sur l’avis préliminaire favorable à Canada Carbon qu’elle avait émis l’été d’avant et refuse la permission pour l’exploitation d’une carrière et d’une mine sur le territoire de Grenville-sur-laRouge (GSLR) : « La commission considère qu’au moment de rendre sa décision, elle n’avait pas tous les renseignements permettant d’apprécier le projet en son état réel. » Cela représente pour le moment une demi-victoire, car si l’entreprise doit attendre deux ans pour savoir si elle peut continuer l’exploitation de la mine de Miller, elle peut néanmoins pour le moment poursuivre les travaux d’explorations [18] [19]. (See less) |